RESPONSABILITE COLLECTIVE A L'EGARD DE LA VIE par Pierre RABHI
Revue "TERRE ET HUMANISME" n°43 - Mars Avril Mai 2005 - page 3
La terre nourricière est parmi les quatre éléments majeurs celui qui n’a pas existé dès l’origine. Il a fallu des millénaires pour que la mince couche de terre arable d’une vingtaine de centimètres à laquelle nous devons notre survie puisse se constituer.
C’est grâce à la composition du minéral et de l’organique qu’est apparue une matrice au sens étymologique du terme. Cette matrice est à elle seule un univers silencieux d’une extrême complexité. Siège d’une activité intense générée par des micro-organismes, des levures, des champignons, des vers de terre, des insectes… etc., il est régi par une sorte d’intelligence mystérieuse et immanente. C’est dans ce monde discret que s’élaborent, comme dans un estomac, les substances qui permettront aux végétaux de se nourrir, de s’épanouir pour se reproduire, et c’est aux végétaux que les humains et les animaux doivent leur survie. Le végétal constitue ainsi une sorte de cordon ombilical transférant grâce à la nourriture, les substances vitales élaborées par la terre vers nos estomacs individuels.
Ainsi s’est établie une logique extraordinaire fondée sur la cohésion du vivant. La terre, le végétal, l’animal et l’humain sont de cette manière unis et indissociables. Cette cohésion et unité de la réalité a engendré une cohérence dans laquelle l’humain est irrévocablement inclus. La dénomination Terre-mère n’est donc pas une métaphore mais une réalité des plus objectives.
Prétendre nous abstraire de cette logique, la dominer ou la transgresser impunément est une illusion. Cet organisme vivant à l’exemple de notre organisme individuel ne peut-être, sans conséquence grave, réduit à un substrat destiné à recevoir des substances chimiques de synthèse sous forme d’engrais solubles, d’hormones, de désherbants, avec un travail aratoire qui étripe, bouleverse à coup de chevaux-vapeur, de plus en plus lourd et puissant, une matière vivante qui nécessite d’être respectée, voire même très peu dérangée, pour être fécondée.
La destruction de la Nature relève d’une méconnaissance, d’un obscurantisme aveugle affublé de science, et c’est un bien commun qui est ainsi dilapidé. Par ailleurs, il est irréaliste de penser que nous puissions être en bonne santé avec de la nourriture produite sur une terre malade ou carrément morte. Ajoutons à cela une eau polluée, dévitalisée, qui représente 75% de notre constitution physiologique, l’air contenant des miasmes toxique, la perte de la biodiversité, la perte du sol, les conditions des petits paysans, l’espèce humaine se trouve en grande discordance par rapport aux lois même de la continuité et se condamne à terme à de grandes pénuries et famines.
Notre lien à la terre est si intime, si vital, que rien ne peut le résilier. La conscience et l’entendement devraient permettre à l’humain de comprendre, de ressentir, de s’enchanter de cet ordre et donc de le respecter et d’en prendre soin avec humilité et compassion. Notre responsabilité à l’égard de nous-même et de nos semblables inclut la responsabilité à l’égard de tout ce phénomène extraordinaire que l’on appelle la Vie.