JE et TU
Martin Buber aux éditions Aubier Philosophie
Le Toi éternel (page 131)
Les yeux de l’animal nous parlent un grand langage. Par eux-mêmes, sans l’aide des sons et des gestes, plus éloquents quand ils s’absorbent tout entiers dans leur regard, ils expriment le mystère que la nature a révélé et enfermé en eux, je veux dire l’appréhension du devenir. Seul l’animal connaît cet état du mystère, seul il peut nous l’ouvrir – car c’est un état qui peut s’ouvrir mais non se découvrir. Le langage qui exprime ce mystère est identique au mystère qui s'y exprime : l’appréhension, l’émoi de la créature placée entre le règne de la sécurité végétale et le domaine de l’aventure spirituelle. Ce langage, c’est le premier balbutiement de la nature sous la première étreinte de l’esprit, avant qu’elle s’abandonne à lui pour son aventure cosmique que nous appelons l’homme. Mais aucun discours ne dira jamais ce que ce balbutiement sait communiquer.