La Sagesse et la Destinée

19/07/2014 16:51

Auteur : Maurice Maeterlinck

Editions : Bibliothèques-Charpentier

Pages : 44, 45 et 73.

 

 « La statue du destin projette une ombre énorme sur la vallée qu’elle semble inonder de ténèbres ; mais cette ombre a des contours très nets pour ceux qui la regardent des flancs de la montagne. Nous naissons en elle, il est vrai ; mais il est permis à beaucoup d’hommes d’en sortir ; et si notre faiblesse ou nos infirmités nous attachent jusqu’à la mort aux régions assombries, c’est déjà quelque chose que de s’en éloigner parfois par le désir et la pensée. Il est possible que le destin règne plus rigoureusement  sur l’un ou l’autre d’entre nous, en vertu d’autres lois plus inexorables encore, plus profondes et plus inconnues, mais alors même qu’il nous accable de malheurs immérités et étonnants, alors même qu’il nous oblige de faire ce que nous n’aurions jamais fait s’il n’avait pas violenté nos mains, le malheur advenu, l’acte accompli, il dépend de nous qu’il n’ait plus aucune influence sur ce qui va se passer dans notre âme. Il ne peut empêcher, quand il frappe un cœur de bonne volonté, que le malheur subi ou l’erreur reconnue n’ouvrent en ce cœur une source de clarté. Il ne peut empêcher qu’une âme ne transforme chacune de ses épreuves en pensées, en sentiments, en biens inviolables. Quelle que soit sa puissance au dehors, il s’arrête toujours quand il trouve sur le seuil l’un des gardiens silencieux d’une vie intérieure. Et si on lui permet alors l’accès de la demeure cachée il n’y peut pénétrer qu’en hôte bienfaisant, pour ranimer l’atmosphère engourdie, renouveler la paix, augmenter la lumière, étendre la sérénité, éclairer l’horizon. »

 

 « Être sage, ce n’est pas adorer sa raison seule, et ce n’est pas seulement avoir accoutumé cette raison à triompher sans peine de l’instinct inférieur. Ce seraient là des triomphes très stériles s’ils n’enseignaient à la raison une soumission plus grande à un instinct d’un autre genre, qui est l’instinct de l’âme. Ces triomphes quotidiens ne doivent être poursuivis que parce qu’ils permettent à un instinct de plus en plus divin de se manifester de plus en plus librement. Leur but ne se trouve pas en eux-mêmes. Ils ne servent qu’à débarrasser la route de la destinée de notre âme qui est toujours une destinée de purification et de lumière. »