La Légende de diamant

11/05/2014 17:23

Extrait du livre d’Edmond BAILLY - La Légende de Diamant (SEPT Récits du Monde Celtique) Aux éditions Librairie de l’art indépendant 1909

 

Le dominateur du seuil

 A ces paroles, tous les regards se tournèrent vers l’Archi-Druide. Olen continua :

 «  O sage dispensateur du savoir, délivre-moi de moi-même. Tiens, voici mon triple collier d’or, accepte-le, afin que j’ai la joie de n’être plus prince ni chevalier. »

 Ce disant, le jeune homme avait déposé sur les genoux du Pontife l’insigne de son rang. Continuant, il jetait successivement à ses pieds son épée, son casque, enfin toute son armure. Alors il dit encore :

 «  Maintenant que je suis redevenu l’humble pèlerin de la vie, accorde-moi la robe du néophyte : ce qu’il te conviendra de m’ordonner, je le ferai ! »

 Quand, d’une fine robe blanche, les Druides eurent achevé de revêtir Olen, les yeux se souvinrent en vain du chevalier de tout à l’heure, car c’était maintenant, avec ses longs cheveux roulant en cascade d’or sur ses fines épaules, c’était plutôt l’image d’une céleste créature descendue, ce soir-là, des splendeurs de monde divin. Le cri d’admiration, qui frémissait sur les lèvres entr’ouvertes, ne fut retenu que par la majesté de l’instant comme du lieu.

 Le Pontife parla :

  - Devenu l’enfant du Druide, sans doute ignores-tu, cher nouveau-né, vers quel incomparable destin t’ont conduit tes pas téméraires. Avant que tu l’apprennes, de ma bouche, je te poserai trois questions. Le savoir de ton premier instructeur m’autorise à penser que tu es en état d’y répondre, quelque ardues qu’elles puissent êtres ; si je m’abuse, confesse-le sans honte ; il t’est loisible encore de reprendre tes armes et de regagner ta demeure.

 - Maître, je suis ici pour t’obéir !

 - Alors expose-nous ce que tu as appris sur la Divinité !

 - Parles-tu des Dieux ou de Dieu ?

 - Bien ! Je parle de Dieu.

 - Dans le cercle  inaccessible de Ceugant, l’Etre unique, l’Unité de l’unité règne et règne ! Là, rien de vivant, rien de mort. Seul il est toute vie, seul il est toute science, seul il est tout pouvoir ! Me demandes-tu s’il est bon : il est l’Amour même ; s’il est beau : il est de toute beauté ; s’il est sage : l’harmonie des mondes n’est rien qu’un lointain reflet de sa suprême intelligence. Infini en lui-même, fini par rapport au fini, il est en accord avec chaque état d’existence, dans le cercle de la Félicité. Depuis toujours et toujours, Dieu crée en révélant son nom à la Parole. Avec la Parole se réalisent toutes les existences, et, sans le savoir, les êtres clament triomphalement l’ineffable Nom. Et du Nom livré à la Parole sont nés tous les rythmes et les chants, ceux de la voix comme ceux des cordes résonnantes ; et aussi toute vitalité, toutes formes et toute béatitude. Et de trois causes proviennent tout mal et la mort : avoir divulgué le nom divin ; avoir mal compté le nom triple ; avoir dénaturé ce nom. Là où, selon le secret, le nombre et la nature, est conservé le Nom, il ne peut y avoir que vie, science et félicité ! Mais ne me questionne point sur ce Nom, connu du seul Menyw, le Fils des trois exclamations qui entendit le triple son et vit les trois rayons de lumière, à l’origine des choses !

 Le jeune homme se tut, dans le grand silence où se recueillait l’approbation des auditeurs.

 - Bien, et encore bien ! déclara l’Archi-Druide. Puis il ordonna :

 - Parle-nous, maintenant, de toi-même !  

 - Après qu’il eut livré son nom à la Parole, Dieu promenait son regard de bénédiction sur l’Abîme éternel, afin qu’au sein de la matière inconsciente, de nouveaux êtres puissent s’éveiller à la lumière : vint mon tour. Ayant été, dans l’Abîme, la moindre chose possible en deçà du Néant qui ne saurait exister, j’ai dû passer par toute forme capable de vie, à travers le Cercle des Transmigrations. J’ai été grain de sable sur les bords de l’Océan brumeux, le neuvième flot m’a rejeté algue bienfaisante ; insecte, j’ai bu la rosée au calice des fleurs printanières ; les branches de pommier ont reposé mon vol d’oiseau ; enfin j’ai connu bien des existences, avant de renaitre dans un corps humain, à l’extrême limite du Cercle infatigable ! J’ai connu trépas sans nombre : obscur artisan, j’ai ployé sous le faix ; mercenaire sans gloire, j’ai succombé dans d’atroces combats ; poète, j’ai chanté l’amour et les festins orgiaques ; on m’a vu parmi les chefs ; puis, en récompense de ma bonté, Dieu m’accorda une vie pauvre. Dispensateur du breuvage, ma main a tenu la coupe sacrée. J’ai été fille, j’ai été garçon ! Que te dirai-je encore ?... Et, présentement, devant cette sainte assemblée, me voici Olen l’hyperboréen, venu pour accomplir tes ordres !

 - Bien, et encore bien ! approuva le Pontife.

Maintenant, parle-nous des autres.

 - Du nom et de la Parole chuchotés à l’origine des choses, s’envolent d’innombrables existences, et Dieu seul les pourrait compter. Et chaque existence ainsi animée, par l’une des parcelles divines, en reçoit un caractère propre ; car, dans l’acte de création qu’il accomplit de toute éternité, Dieu, dont le pouvoir est sans bornes, diversifie artistement son œuvre ; de sorte qu’on ne saurait trouver, dans l’univers, deux astres identiques, pas plus qu’il existe, sur cette terre, deux brins d’herbe absolument semblables. Tout Awen, est de le rendre à, son originelle pureté,

Afin que la totalité des Awens ne reconstitue la primordiale harmonie autrefois troublée par la rude Nécessité, dans le Cercle des Transmigrations ! Mais, pendant que toute vie émane de Dieu, tout bien d’une vérité, nul pouvoir ne saurait exister sans une part de liberté dans le stade humain ; et de cette liberté s’alimente, par l’aveuglement des créatures, toute opposition à l’état de Félicité. A cause de cela, les initiés à la Science purent redescendre du Cercle de Gwynfyd, où ils étaient parvenus, afin d’aider leurs frères ignorants. Pour connaître toute chose, j’ai souffert toute chose ; j’ai éprouvé toute forme d’existence ; tout mal et tout bien ont été distingués par moi : confie-moi la tâche que je sui venu chercher, Maître, j’attends !

 Comme il achevait de parler, une lumière intense s’éleva au-dessus du front du jeune homme, et, durant quelques secondes, cette lumière brilla comme une blanche étoile.

 - Le Signe ! murmura simplement l’Archi-Druide.

 Dans l’assemblée, toutes les têtes s’inclinèrent avec respect. Des minutes passèrent, lentes comme des heures.